#18. Rendez-vous au jardin du Luxembourg.

#

Il fait beau et le jardin du Luxembourg illuminé par la douce lumière du soir est un rêve éveillé. Je suis un peu en avance alors j’en profite pour sillonner les rues du XIe. J’adule cet arrondissement. L’architecture vétuste, les rues qui prêtent à la romance, les cafés mondains… toute l’atmosphère qui inspire le rêve et le passé.

Tandis que je m’approche du Boulevard Saint-Germain, mon téléphone se met à vibrer à travers mon sac, contre ma cuisse. Je le déverrouille instantanément. « Je suis arrivé » m’informe Jérémie. Après des pavés de conversation virtuelle suite à notre crush, nous nous sommes donnés rendez-vous dans une rue adjacente au Boulevard, je n’ai plus qu’à traverser. Je scrute le lointain, les jambes flageolantes, pour constater qu’il y a bien une jeune fille qui fume une clope et un vieil homme qui piétine le bitume en face. Le feu passe enfin au vert, je traverse à toute vitesse, guillerette, prête à extirper mon portable de ma poche pour l’appeler quand soudain, j’aperçois sa silhouette près du métro Odéon, parmi les touristes survoltés.

Mon estomac est noué. Je l’observe quelques secondes furtivement, tant qu’il ne m’a pas vue et mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Quel canon. Grand, assez large d’épaules, avec une superbe tignasse blonde dans laquelle je rêve déjà de passer ma main.  Vêtu d’une veste kaki avec un jean et des sneakers. Il est tellement beau. Séduisant. Ses yeux en amande semblent briller d’une lueur facétieuse. 

Je m’approche de lui, essayant d’ignorer le tambour qui pulse dans ma poitrine, et je lui lance, presque fébrile :

-Salut Jérémie ! 

-Nina…Comment vas-tu ?

Sa voix est douce, mélodieuse. Sa démarche, aérienne. Tout chez lui inspire l’art. Nous échangeons quelques banalités en déambulant dans le quartier Saint-Germain et je savoure l’ambiance printanière, le charme poétique qui se dégage de ce quartier. Nous passons la célèbre rue d’Assas, puis la rue Madame, dont le nom m’a toujours intriguée. Un spleen étrange m’envahit soudain. Toutes ces rues sont raffinées. Elles respirent le luxe, le calme, la volupté. Je m’imagine soudain habitant par ici. Entrer dans un de ces immenses appartements, avec une baie vitrée incroyable, donnant sur le boulevard Saint-Germain. Passer la porte en bois colossale, monter des escaliers en marbre, à la rampe parée d’or. Tout a l’air fastueux et prête au rêve parisien.  La foule se presse à proximité du célèbre parc. Des passants rieurs, d’autres à la mine tirée… Une ribambelle d’enfants insouciants, deux mômes qui se pourchassent en piaillant. 

-Alors, tu m’as dit que tu bossais dans la radio, c’est ça ? C’est assez insolite, non ? dis-je, pour engager la conversation.  

-Oui, c’est ça. Je bosse chez Ground Control, près de Bastille. Je suis speaker aussi pour quelques émissions de France Bleu Nord.

-Et quels genres d’émissions fais-tu ? 

-Principalement des interviews. C’est un métier génial, au contact des gens, je me régale. J’ai jamais été aussi épanoui. 

-Ah oui ? T’as interviewé des personnes célèbres ? 

-Oui, Benicio del Torro, par exemple au festival de Cannes. Hyper sympa comme mec ! Et Antonio Banderas aussi. J’ai interviewé Mélanie Laurent aussi, il y a six mois. Elle était tellement charmante, je t’avoue que sur le coup, j’ai eu un mini coup de cœur. Comme un ado, j’ai chaviré. Je sais c’est bête, mais elle était vraiment simple, et gentille. 

-Ouahou ! Ça a l’air ouf ce que tu fais tous les jours. Comparé à toi, j’ai rien à raconter moi…

-Mais si… Je suis sûre que tu fais un travail intéressant… D’ailleurs tu bosses dans quoi déjà ? Tu me l’avais peut-être dit dans un de nos longs échanges.

Tandis que j’embraye sur le quotidien morne de mon travail, nous passons devant la rue Férou et soudain, une idée me traverse, fulgurante.

-Viens par ici ! Je vais te montrer un truc génial, je lui dis, avec malice, en remarquant une étincelle de curiosité dans ses yeux. Je le tire timidement par la manche. 

-Je connais pas cette rue, elle est… pittoresque, dit-il, observant de tous côtés. 

-Attends de voir ! Je l’adore. Tu vas vite comprendre pourquoi.

Je presse le pas, et je m’immobilise devant un mur de cette étroite rue. Sur celui-ci, des centaines de lettres inscrites. Il s’agit d’un poème, Le bateau ivre de Rimbaud. Les mots s’étendent à l’infini sur les briques cendrées, et font de cette petite ruelle au premier abord quelconque, une pépite, insolite. Ravie d’avoir pu partager mon secret, je souris à mon interlocuteur, qui demeure concentré sur la lecture des vers du célèbre poète. Le charme de l’endroit me transporte, cette ambiance désuète que j’affectionne tant. Je prends une profonde inspiration, comme pour respirer la magie du lieu.

-C’est génial ! me dit-il. Merci !

-Je confirme.

Nous nous dirigeons ensuite vers la place Saint-Sulpice. L’air est encore agréable et je me délecte de cette balade vespérale. Jérémie me propose de choisir un bar, et je jette donc mon dévolu sur un petit café, qui ne paye pas de mine, mais qui fera l’affaire -j’ai hâte de me poser pour commencer à discuter vraiment– et nous nous installons face à face, dans le cliquetis irritant de chaises métalliques que l’on déplace. De là où je suis, je peux sentir les effluves de son parfum qui viennent agréablement faire frissonner mes narines. Des notes fraîches, iodées, sensuelles. Hermès. Puis, le silence se fait. Pendant quelques minutes, personne ne dit mot. Seul le bruit familier de la circulation résonne à nos oreilles, ainsi que les bavardages des passants qui nous entourent. J’en profite pour le contempler : pommettes hautes, teint légèrement hâlé, sourire lacté… autant de promesses d’un rendez-vous captivant.

Laisser un commentaire

Hanna Anthony

Alors que j'ai été une adolescente solitaire, la pratique de l'écriture m'a sauvée.

À 12 ans, j'ai rédigé ma première nouvelle sur l'ordinateur familial. Par la suite, je publiais régulièrement mes textes sur un blog. J'ai ensuite tardé à me lancer dans le roman, persuadée que je n'étais pas légitime à construire une structure narrative et des personnages forts.

En 2019, l'école d'écriture Les mots a lancé un concours auquel j'ai participé avec un texte très moderne sur les amours contemporaines. Les liaisons factices a figuré parmi les lauréats du concours. Un an plus tard, il a été publié dans une petite maison d'édition et vendu à 800 exemplaires.

J'ai également vendu mon propre recueil de textes en auto-édition, en moins de deux mois, plus de 500 exemplaires ont été écoulés.

Particulièrement intéressée par le genre du roman contemporain, j'ai fait évoluer mon écriture dans le cadre d'ateliers, notamment avec Chloé Delaume et Lolita Pille. J'ai affiné mon style, que je considère aujourd'hui comme inspiré de Delphine de Vigan et de Karine Tuil.

Je possède aussi un compte Instagram de mots, @relation_textuelle, suivi par plus de 40 000 personnes.

On discute ? 💌
anthonyhanna760@gmail.com