#22. Délicieux vertiges.

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-Salut ! je lance, pour sortir Jérémie de sa lecture.

-Bonjour toi ! Comment vas-tu ? C’est mon péché mignon, je le lis tous les matins, confesse t-il, en désignant le journal, avec un petit rire.

-Ça va, c’est moins calorique que les pains au chocolat ! je réplique avec espièglerie.

-En parlant de pain au chocolat, t’as déjeuné ? me demande t-il.

Je connais un petit café ultra sympa par ici, on pourrait aller prendre un thé ou un croissant.

Je hoche la tête avec contentement et je le suis tandis qu’il me raconte la soirée qu’il a passée la veille au cinéma.

-Le film était vraiment bien, j’ai beaucoup aimé la fin, mais je veux pas te spoiler. Et puis, Penelope Cruz, c’est quelque chose ! Elle est magnifique.

-J’irais peut-être le voir alors, dis-je, tout en sachant très bien que c’est faux : je ne vais jamais au cinéma.

Deux minutes plus tard, nous entrons dans le café-librairie, que je trouve cosy à souhait.

Une faible lumière illumine une pièce principale de laquelle émane des odeurs réconfortantes de café et de chocolat mêlées. Il y fait bien chaud, et les tables sont surplombées d’immenses fauteuils douillets. Des parisiens endimanchés y lisent leur journal, paisiblement. Je m’y sens immédiatement à l’aise, dégustant un thé matcha. 

Lorsque je tourne la tête sur la gauche, installée en face de Jérémie, mon regard tombe sur des centaines et des centaines de livre, sagement alignés, formant un de ces arc-en-ciel de couleurs en papier. D’emblée, je rêve de pouvoir lire chacune de ces tranches, l’une après l’autre. Jérémie semble remarquer mon attrait car il m’interrompt soudain dans ma rêverie :

-Chouette bibliothèque, n’est-ce pas ?

-Oui ! J’adorerai avoir une immense bibliothèque chez moi plus tard. Avec des centaines de livres.

-C’est un joli rêve ! Tu relis tes livres, une fois que tu les as déjà lus une fois ?

-Oui, ça peut m’arriver de relire des livres trois ou quatre fois. Ceux que j’ai adoré. Et toi ?

Son iPhone sonne, ce qui diffère sa réponse. Je lorgne discrètement sur l’écran illuminé pour voir si le prénom de la fameuse Alex s’affiche.

-Excuse-moi, me dit-il avec un air gêné.

-Pas de souci.

Il semble absent, quelques secondes, le nez dans son téléphone portable, comme hypnotisé par ce curieux halo, et émerge à nouveau, au bout d’une trentaine de secondes.

-Désolé, c’est un de mes potes, il est un peu dans la merde, mais je sais pas comment l’aider.

-Ah oui ? Comment ça, si c’est pas indiscret ?

-C’est un gars de la radio, ça a bien marché pour lui, il est producteur maintenant. Et il sort avec une fille du milieu, mais franchement elle est toxique, elle le détruit et je sais pas pourquoi il continue à lui courir après… Impossible de lui faire entendre raison…

-Ça, en général, c’est le déclic qui le fera agir. Je pense qu’en tant que personne extérieure, tu peux pas faire grand chose…

-Ouais, c’est clair tu as raison. Mais c’est vraiment le cliché de la fille du milieu, elle profite de son argent et tout, elle me dégoûte…

-C’est un milieu très superficiel, non ? Soirées mondaines et compagnie ?

-Oui exactement. Que des m’as-tu vu… je me méfie du coup. Je sais que c’est un monde factice, alors j’en reste éloigné.

Il passe sa main dans ses cheveux, délicatement, et je remarque l’éclat d’une montre à son poignet gauche, qu’il ne portait pas la dernière fois. Le bracelet est usé, vieilli, couleur cognac.

-C’est ce que j’ai adoré d’ailleurs chez Alexandra, tu sais, la fille dont je te parlais la dernière fois. Elle, elle était pas du tout comme ça…

Oh putain, fais chier… Il peut pas arrêter de parler d’elle. Je ne dis rien, je reste stoïque, inébranlable, me contentant d’acquiescer bravement. Pourtant, à l’intérieur de moi, le doute me ronge lentement…. Et si demain, elle le recontactait ? Il disparaîtrait… sans aucun doute. La séduction avec Jérémie, c’est comme jouer à la roulette russe. A chaque rendez-vous, on tire sur la gâchette, et on espère que la balle ne sera pas propulsée.

-Bon, t’as fini ton chocolat ? Ça te dit qu’on se mette en route, pour notre balade dans Belleville ? Me demande t-il soudain, enjoué.

Nous réglons l’addition, enfilons nos manteaux et je le suis donc dans la grisaille parisienne. Notre marche est agréable malgré le temps humide. Au gré des rues, dans l’atmosphère modeste du 20ème arrondissement, nous dénichons des graffitis, des chefs d’oeuvres de street art à la Banksy, de minuscules ruelles pavées, de petites places enjolivées par d’adorables cafés à la française, encerclées par ces lampadaires désuets qui font tout le charme de la ville.

Nous nous baladons en discutant de choses et d’autres. Jérémie m’apprend qu’il a fait du cheval -j’ai été cavalière aussi- et qu’il adore l’improvisation théâtrale. Je lui confie que j’aimerais m’y réinscrire, et il me propose que l’on trouve un atelier pour y aller ensemble. Sur le moment, je rosis de plaisir, mais je reste sur mes gardes, consciente de la capacité étrange qu’ont certains mecs à s’emballer puis à se désintéresser tout aussi rapidement.

A 13h00, nous déjeunons dans un minuscule boui-boui asiatique, dégustant un bo-bun ; je l’observe furtivement, ses gestes gracieux, sa démarche flegmatique, cette façon de passer sa main derrière sa nuque, et d’incliner la tête, son odeur et les quelques poils bruns qui tapissent ses bras bien bâtis, dévoilés par ses manches relevées, et la curieuse attraction qui sévit au creux de mon ventre se renforce indubitablement.

Tandis que nous nous baladons dans le parc de Belleville, admirant la vue sur la Tour Eiffel au loin, et les Invalides, et la Tour Montparnasse et Montmartre, et tous ces toits d’immeubles sombres, petites constructions ridicules parmi les monuments illustres, Jérémie se rapproche de moi.

-C’est trop beau, n’est-ce pas ?

Je confirme en souriant, le coeur tambourinant dans ma poitrine, les jambes tremblantes. Il n’y a quasiment personne dans le parc, excepté nous deux. Il fait frais, les nuages assombrissent l’horizon, mais la tranquillité règne, et le moment est propice à un baiser.

Mais il se rapproche de moi, me lâche un grand sourire, de ceux qui me font fondre, puis s’éloigne.

Au cours de l’après-midi, d’autres moments de rapprochement m’entraînent vers un vertige délicieux, celui de l’attente de la concrétisation. Je spécule sur la fin de la journée, persuadée qu’il va proposer que l’on passe la soirée ensemble et que le baiser auquel j’aspire tant aura bien lieu…

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Hanna Anthony

Alors que j'ai été une adolescente solitaire, la pratique de l'écriture m'a sauvée.

À 12 ans, j'ai rédigé ma première nouvelle sur l'ordinateur familial. Par la suite, je publiais régulièrement mes textes sur un blog. J'ai ensuite tardé à me lancer dans le roman, persuadée que je n'étais pas légitime à construire une structure narrative et des personnages forts.

En 2019, l'école d'écriture Les mots a lancé un concours auquel j'ai participé avec un texte très moderne sur les amours contemporaines. Les liaisons factices a figuré parmi les lauréats du concours. Un an plus tard, il a été publié dans une petite maison d'édition et vendu à 800 exemplaires.

J'ai également vendu mon propre recueil de textes en auto-édition, en moins de deux mois, plus de 500 exemplaires ont été écoulés.

Particulièrement intéressée par le genre du roman contemporain, j'ai fait évoluer mon écriture dans le cadre d'ateliers, notamment avec Chloé Delaume et Lolita Pille. J'ai affiné mon style, que je considère aujourd'hui comme inspiré de Delphine de Vigan et de Karine Tuil.

Je possède aussi un compte Instagram de mots, @relation_textuelle, suivi par plus de 40 000 personnes.

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