#23. Runnin’.

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1 mois plus tard.

Mon histoire avec Jérémie ne s’est malheureusement pas concrétisée. J’ai décidé d’arrêter les applications de rencontre quelques temps pour me concentrer sur le réel. Mon nouveau hobbie ? Un groupe de course à pied. Premier rendez-vous ? Dans 10 minutes.

Plutôt pas mal cette tenue, je pense en me regardant dans le miroir en pied. Legging de sport Adidas noir, avec un T.shirt Adidas rose assorti à mes baskets Asics. Mon teint est déjà doré par les après-midis paresseux passés à lire dans le jardin du Luxembourg. Je suis fin prête pour la course à pied en groupe. Le rendez-vous est fixé à 20h00, dans un bar appelé « Le Brigand », à 5 minutes de chez moi, qui constitue apparemment le quartier général et lieu commun du groupe, et il fait un temps radieux, soit aucune excuse valable pour ne pas y aller. 

Je sors de chez moi en fourrant la clé de mon appartement dans la poche arrière du pantalon, et je me dirige vers la rue, avec une petite pointe d’appréhension. 

Tandis que j’arrive dans la rue de Vaugirard, mon regard se porte au loin sur un attroupement bariolé. C’est bien le QG des Paris Runners. Je m’avance, intimidée en essayant de me frayer un passage dans ce camaïeu de couleurs fluos. Tout le monde se connaît et des groupes sont déjà formés. Ça va être dur de m’incruster, plus dur que ce que je pensais.

Je repère directement le leader (sa photo de profil était affichée sur les réseaux sociaux) et je l’aborde en lui donnant mon prénom et en ajoutant que c’est ma première fois, ravie de pouvoir me donner une consistance en échangeant avec quelqu’un au lieu de rester seule. 

-Salut Nina ! Voici une décharge à signer et bienvenue ! 

Je signe le papier, je lui tends avec un sourire et me voilà à nouveau dans la jungle, bousculée par des sportifs qui entrent et sortent du bar, me compressant contre les portes vitrées. 

Si je ne me lance pas pour aborder quelqu’un, je vais passer ma séance seule… 

Un petit étau me serre la poitrine, mon regard se porte sur les personnes qui m’entourent. Une fille blonde, ravissante, foutue comme une bombe sort du bar. Un grand brun barbu, flanqué de tous les attirails du coureur professionnel : montre connectée et j’en passe se penche vers le sol pour refaire ses lacets. Je suis impressionnée mais je conserve une moue cool et décontractée. Je ne veux surtout pas avoir l’air d’une morte de faim qui se cherche des potes.

Soudain, mes yeux sont attirés par une petite brune qui semble perdue. Elle regarde à droite à gauche, concentrée, sourcils froncés.

Peut être qu’elle cherche ses amis, peut être que c’est aussi sa première fois. C’est ma chance. 

Je saisis cette opportunité en lui lançant : 

-Salut, c’est ta première fois ici ? 

-Salut ! Me répond t-elle d’une voix haut-perchée. Non pas du tout mais je ne trouve pas mes copines. C’est ta première fois ? 

-Ici oui. J’habite juste à côté… j’appréhendais un peu de venir car je ne connais personne…

J’avais déjà couru dans le groupe Paris Running aux Abbesses. 

-Ah t’inquiètes pas, les gens sont trop sympas ici, tu verras, on se fait vite des potes. T’habitais vers Montmartre alors avant ? 

Nous continuons à discuter de choses et d’autres, de la vie en capitale versus la vie provinciale, de la course à pied tout en marchant depuis le bar jusqu’à la place de la mairie du 6e.

Margot m’apprend que le leader du groupe y donnera les instructions et que le lieu sera notre point de départ, à chaque séance.

Thierry, le meneur commence donc son speech d’une voix tonitruante, et toutes les deux minutes, ses paroles sont acclamées par un tonnerre d’applaudissements et de sifflements, comme le gourou d’une étrange secte.

Mais où ai-je atterri?  Dès lors qu’il a terminé, il souhaite une bonne séance à chacun et une cohue inimaginable se bouscule soudain, chacun tentant de rejoindre son groupe de niveau au plus vite, appelé par son meneur de groupe.

Évidemment, nous n’allons pas courir à cent dans les rues de Paris. 

Ayant repéré mon coureur dit encadrant, niveau boucle Intermédiaire, 5’45 au km, je me dirige vers lui, avec Margot, qui me présente ses amies Eva, Anna et Marina. Ravie d’avoir déniché des acolytes en si peu de temps, je fonce, boostée par la foule, fendant l’air de ce crépuscule aux lueurs orangées.

21h30, tous les coureurs sont à nouveau réunis au Brigand dans une ambiance festive. En face de moi, trois charmants jeunes hommes avec qui nous discutons Margot et moi. 

J’acquiesce, je réplique avec malice quand il le faut tout en observant la faune autour de moi. Beaucoup de groupes sont déjà formés depuis longtemps et je peux déjà repérer, en un coup d’œil, les connivences et les inimitiés. Là-bas, il y a le boss, Thierry, entouré de sa meute de fidèles. Pas très loin du meneur, un groupe de mâle alpha se dessine, curieux amas de muscles et de poils aux effluves de transpiration, s’esclaffant au rythme de verres de bières qui s’entrechoquent joyeusement.

C’est comme une cour de lycée, vous savez avec la reine des abeilles et tout le tintouin. Pour faire partie de la bande des gens sélect, il faut connaître ce groupe de mâle alpha, mais aussi le leader et quelques encadrants. Pour se faire repérer dans la masse, il faut être remarquée. Pour être remarquée, il faut se rapprocher des bonnes personnes. Je cherche les visages dans la lumière du bar, des clameurs de joie, celle de taquineries enivrées et de blagues graveleuses, résonnent à mes oreilles, tout en essayant de retenir les prénoms de chacun. 

Lui c’est Nicolas. Et lui Clément. Puis lui, c’est Lucas. Lucas a un visage étrange mais magnifique, bouille d’ange assombrie par un regard méprisant de salopard effronté. Il ne fait cependant absolument pas attention à moi. L’un d’entre eux ne me laisse pas indifférente, on m’apprend qu’il s’appelle Idriss. Alors que je le regarde discrètement, une fille brune s’approche de lui et glisse sa main manucurée sur son torse. Probablement sa meuf. 

-Bon, alors, t’es celib’ ? me demande Margot avec engouement, comme si elle avait lu dans mes pensées. T’as repéré quelqu’un ? 

-Célibataire oui ! Difficile à dire, ils sont tous beaux et en même temps, y’en a tellement que je sais plus où donner de la tête.

Et toi ? 

-Et ouais y’en a des pas mal quand même ! 

Moi j’aime bien celui qui est là-bas au fond, le grand brun barbu. 

Ce n’est pas mon style, mais j’approuve sans réfléchir. Je préfère les blonds.

-Moi je préfère celui-ci, là bas au bout, il s’appelle Marc je crois, rajoute Marina. 

Vingt minutes plus tard, alors que je commence à être sérieusement éméchée -mon ventre est vide- on me colle encore un verre dans la main tandis qu’un énorme paquito secoue le bar entier. 

-On démarre le jeu ! Hurle Thierry. 

Chacun doit piocher une carte dans le tas, rechercher activement son alter ego dans la salle, c’est-à-dire l’unique personne qui possède la même carte, et prendre un selfie avec lui, qu’il postera ensuite sur la page du groupe. 

Je tire ma carte au hasard et tombe sur un as de pique. Nageant dans une mare de sportifs aussi bruyants que saouls, je bataille parmi la foule pour retrouver mon double quand soudain, Thierry, le leader me fait signe. Il dégaine sa carte : un as de pique ! 

Nous prenons donc un selfie ensemble, comme convenu, que je poste immédiatement sur la page du groupe de running en nous taguant ensemble.

Satisfaite, je retrouve ensuite mon groupe initial, composé de Rémi, Anthony, Adrien, Margot, Inès, Anna et Léa. Un mec très mignon passe près de nous et Adrien en profite pour le héler. 

-Héhé Jérôme ! Comment ça va ? 

Je l’avais repéré quelques heures plus tôt, sur la place. Châtain foncé avec les yeux verts et un visage très harmonieux. L’objet de ma curiosité s’avance parmi nous et engage la conversation avec moi. 

-Salut, t’es nouvelle c’est ça ? 

-Oui. Nina enchantée ! 

La conversation se poursuit avec fluidité. Au moment où ça devient intéressant : il me raconte d’où il vient et ce qu’il pense de Paris, une fille très mince et très grande arrive et nous coupe. Je lui souris mais intérieurement, je maudis sa maladresse. 

-Hey ! Moi c’est Laura et toi ? 

Tout le monde se met alors à parler en même temps, j’essaie de suivre mais chacun ajoute son commentaire, et certaines réponses se perdent dans le brouhaha ambiant du bar alors je décide de sortir fumer une clope. Après la course après, oui, ne me fustigez pas. Je sais que je ne vais pas tarder, la fatigue commence à m’emporter inéluctablement. Au bout de quelques minutes, une présence se fait sentir derrière moi. J’espère secrètement qu’il s’agit de Jérôme…

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Hanna Anthony

Alors que j'ai été une adolescente solitaire, la pratique de l'écriture m'a sauvée.

À 12 ans, j'ai rédigé ma première nouvelle sur l'ordinateur familial. Par la suite, je publiais régulièrement mes textes sur un blog. J'ai ensuite tardé à me lancer dans le roman, persuadée que je n'étais pas légitime à construire une structure narrative et des personnages forts.

En 2019, l'école d'écriture Les mots a lancé un concours auquel j'ai participé avec un texte très moderne sur les amours contemporaines. Les liaisons factices a figuré parmi les lauréats du concours. Un an plus tard, il a été publié dans une petite maison d'édition et vendu à 800 exemplaires.

J'ai également vendu mon propre recueil de textes en auto-édition, en moins de deux mois, plus de 500 exemplaires ont été écoulés.

Particulièrement intéressée par le genre du roman contemporain, j'ai fait évoluer mon écriture dans le cadre d'ateliers, notamment avec Chloé Delaume et Lolita Pille. J'ai affiné mon style, que je considère aujourd'hui comme inspiré de Delphine de Vigan et de Karine Tuil.

Je possède aussi un compte Instagram de mots, @relation_textuelle, suivi par plus de 40 000 personnes.

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