#24. Boosteur d’ego.

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-Salut, moi c’est Samuel, enchanté. C’est la première fois que tu viens non ?

-Salut, je réponds, sans aucune chaleur, lui manifestant ainsi une indifférence ostensible destinée à l’encourager à faire marche arrière. 

J’ai grillé Samuel depuis mon arrivée, avant même de commencer le parcours. C’est presque embarrassant : il ne cesse de me regarder de loin et de me lancer des sourires, mais bien sûr, devinez quoi ? Il ne m’intéresse pas. C’est toujours comme ça. Le mec que vous kiffez ne vous regarde pas, et tous ceux que vous essayez d’esquiver butinent autour de vous. L’histoire de ma vie. 

Et voilà, de mieux en mieux, maintenant je me fais draguer par le lourdaud de service. 

Je me retourne pour l’observer franchement, à la lueur du lampadaire, il n’est en fait pas trop mal, si on fait abstraction de son mono-sourcil, mais je n’ai aucune envie de converser. En plus, je me souviens de ses déclarations sulfureuses sur la gente féminine du début de soirée : on ne partage clairement pas les mêmes valeurs. Aussi, lui réservé-je mon ton d’agacement suprême, en espérant qu’il va se décourager vite fait bien fait. 

Hélas, après quelques banalités échangées, il me colle toujours aux basques, le tenace, et aucun Jérôme en vue à mon grand désarroi, je peste intérieurement, hésitant entre : 1) l’envoyer chier sans m’embarrasser d’une quelconque formule de politesse 2) trouver une excuse bidon et le planter là. 

Quelques minutes plus tard, il doit sentir que je ne suis pas intéressée, puisqu’il me glisse un petit papier dans le creux de la main, et s’éclipse enfin. J’ouvre ma paume, tiraillée entre d’un côté la curiosité et de l’autre, le mépris : il m’a probablement glissé son numéro. Le papier plié est de forme rectangulaire, je comprends vite qu’il s’agit de la carte à tirer, et je la déploie lentement, intriguée, les sourcils froncés. A l’intérieur, des caractères griffonnés de manière malhabile sur une des faces de son semblant d’origami. Je laisse échapper un ricanement moqueur. Il ne m’intéresse pas du tout. Cependant, je ne peux que saluer son courage. Je replie la carte rageusement et je la fourre dans la poche de ma veste Décathlon sans réfléchir. Le son électro d’une chanson que j’adore – Oh La La de Goldfrapp– commence à retentir dans le bar tandis que les éclats de rires et de voix me parviennent. Un courant d’air me chatouille désagréablement le dos et je sens que je vais attraper la crève si je ne bouge pas d’ici. Lorsque je lève la tête, je sursaute. Jérôme se trouve devant moi, telle une apparition. Au moment où nos regards se croisent, je sens son odeur, celle que j’ai respiré toute à l’heure, mélange de linge frais et de sueur propre et un instant, celle-ci me fait tourner la tête. 

-Tu n’as pas l’air en forme, me lance t-il, avec un sourire en coin.

-Non, je vais partir, je suis morte, je réponds d’une toute petite voix.

J’espère secrètement qu’il marchera avec moi. 

Il se racle la gorge. 

-J’espère que le mec, Samuel, ne t’a pas trop embêtée ? S’enquiert-il.

-Non, t’inquiètes pas. Tu restes toi ?

-Je vais pas tarder. T’habites pas très loin, c’est ça ? 

-Oui… Je vais dire au revoir aux autres et j’y vais d’ailleurs. Envie de dormir. 

Ma déclaration étant confirmée par un bâillement discret. 

Je commence à marcher : la douleur qui irradie dans mes cuisses et mes mollets me rappelle que je ne me suis pas étirée correctement. 

-Tu reviens la semaine prochaine ? me demande t-il, les yeux brillants.

-Oui ! Carrément, c’était tellement génial.

-Cool, et bien, bonne soirée Nina.

Je rentre chez moi, des étoiles dans les yeux. Après une bonne douche, je m’allonge dans mon lit, et dès lors que je ferme les yeux, je suis inondée par une mer de visages. Clément, Jérôme, Antoine, Margot, Marina, Anna…

Une fièvre d’excitation me transporte, je suis KO mais je sais que je ne parviendrai pas à dormir. J’allume mon application Facebook. J’ai 7 nouvelles demandes d’amis.

Je souris, à moitié engourdie par le sommeil : j’ai vraiment bien fait de venir.


Trois semaines que je mate des coureurs, ingénument, juste pour le plaisir des yeux, leurs mollets musclés qui se tendent au rythme des foulées élastiques, leurs torses bombés, qu’épousent des T-shirt de sport en élasthane, mais que je refuse catégoriquement de me laisser approcher, comme un chat craintif, un chat de gouttière.

Il est 21h43, la fin d’une splendide journée se profile à l’horizon et le ciel se décline en un chapelet de lueurs pourpres au loin. Je m’avance vers l’entrée du Brigand, le run est fini, et l’air ambiant est déjà saturé par une odeur rance de fauve. J’essuie machinalement les quelques gouttes de transpiration qui humidifient mon front, je tends une de mes jambes, ankylosée, en grimaçant, parfaitement moulée dans un legging noir et je tire un peu sur mon crop-top Nike qui dévoile innocemment quelques centimètres de mon ventre bronzé. Je joue des coudes avec une assurance respectable pour tenter de me faufiler jusqu’au bar : ma gorge est aussi sèche que du papier de verre et j’ai désespérément besoin de me rafraîchir. Un air de house répétitif mais mélodieux secoue le lieu peuplé de sportifs. Au fil de ma quête pour un verre d’eau glacée, je sens divers regards sur moi, mais je ne cille pas. J’ai désormais l’habitude : je sais à nouveau que je ne passe pas inaperçue. Je l’avais oublié. Braquée par des lasers de testostérone qui me scannent de haut en bas, qui s’attardent peut-être sur mes courbes tonifiées par la course, sur mes épaules dénudées. Nombreux sont ceux qui me regardent, et ces coups d’oeil admiratifs, de plus en plus récurrents, ont le mérite de redorer mon blason.

En à peine trois semaines, j’ai retrouvé ma confiance bafouée, celle qui avait été démolie à coup de dates ratés avec des tombeurs insatiables et de déconvenues acides sur les apps.

Ils me regardent tous, et j’en jouis. Mes fesses hautes, rebondies mais fermes, mon allure élancée, ma taille de guêpe, mon ventre plat. Mes longs cheveux noirs et lisses. Et mon esprit, ma répartie taquine, mes vannes narquoises qui fusent comme des missiles. Comme je me sens bien… Je réponds à mes louangeurs avec habileté, avec un sourire bright-white que je me plais à lancer, accompagné par un battement de cil dévastateur. La recette du succès.

-Hey Nina ! La plus belle, ma fiancée ! La princesse d’Orient… La Cléopâtre du Brigand, me lance Bastien, un habitué, un peu perché, mais sympathique et avenant. Comment vas-tu ?

-Salut Bastien, ça va et toi ? Bien couru ?

-Oui, car je peux t’admirer. Tu sais que tu es magnifique ?

Qu’est-ce que je vous disais… 

Je lui souris avec suffisance, tout en attrapant mon verre d’eau sur le comptoir. J’en avale la moitié en quelques secondes, avec avidité. La fraîcheur de l’eau est un véritable pansement contre ma gorge irritée par la pollution.

Il renchérit, en impliquant son pote Alexis.

-Franchement, quel corps ! Alex, t’es pas d’accord ? Tu sais que n’importe quel mec voudrait coucher avec toi ? En même temps, comment résister ? Ces courbes affolantes, voluptueuses, et ce sourire ravageur, Mamamia !

Nina, dit-il en se mettant à genou, théâtral, quand tu veux, je suis ton copain !

Je ris, ne sachant pas si je dois être flattée ou embarrassée, tout en essayant désespérément de m’échapper avant que la discussion ne devienne trop glauque. C’est déjà suffisamment gênant.

Soudain, quelques mètres plus loin, je croise le regard familier de Jérôme. Vous vous souvenez, le beau brun que j’avais repéré lors de ma première course. Il hausse un sourcil, puis les épaules, me sourit, penaud, et je comprends qu’il ne volera pas à mon secours : il est trop occupé à introduire sa copine parmi le groupe. Je grogne intérieurement, puis me retourne un peu brusquement, verre à la main, et je percute par mégarde un grand blond aux yeux bleu. Confuse, je m’excuse, il m’assure que ce n’est pas grave. Rassurée, je m’éloigne sans demander mon reste.

Je sors ensuite du bar, j’erre sur le trottoir quelques secondes et je croise le regard d’un grand brun barbu, appartenant à la clique des mâles alpha, très sympa, car l’un n’empêche évidemment pas l’autre. Il me présente gentiment à ses amis, Gaetan, Clément, Matthias, tous aussi beaux qu’athlétiques, et je parviens à me frayer une petite place dans le cercle.

Pendant une dizaine de minutes, je discute sport avec Gaetan, handball, plus précisément, mais à mon grand regret, mon interlocuteur m’annonce qu’il doit rentrer. Décontenancée, ne voulant pas rester seule avec un verre à la main puisque le groupe initial dans lequel j’ai été introduite s’est disséminé, je fais demi-tour, prête à retourner à l’intérieur du bar pour retrouver mes amis, lorsqu’un type m’aborde inopinément…

Le blond aux yeux bleu.

2 commentaires

  • Bonjour
    Qu’appelles-tu un mâle alpha ?
    Je suis curieux de connaître ta définition !
    J’imagine que c’est le genre d’hommes qui t’attirent, le contraire des types needy, qui finissent dans la friendzone !

    • Bonjour Tomas !
      Ta question est très intéressante. Un mâle alpha pour moi, c’est le mec qui est beau et le sait. Qui a de l’assurance et beaucoup de confiance en lui, qui sait séduire une femme.
      Pendant des années, c’est le genre de mecs qui m’intéressait car il avait tout ce que je n’avais pas : beaucoup d’assurance… et je le trouvais séduisant et admirable, contrairement aux mecs timides ou réservés. Sauf que pendant bien longtemps, je ne me suis pris que des bâches avec ce genre de mecs, ou des échecs amoureux à répétition. J’ai fini par ouvrir les yeux et comprendre que ce n’était pas le genre de mec fait pour moi. Au contraire, j’avais besoin de quelqu’un de normal, avec une confiance en soi normale, voire même un peu timide, quelqu’un qui me ressemble… A partir de là, j’ai changé de « type de mecs », et ça a marché 🙂 Donc il ne faut surtout pas croire que les femmes n’aiment que les mâles alpha. En général, elles les aiment jeunes, puis à force de se casser la gueule, elles finissent par s’orienter vers d’autres types de garçons plus humbles.

Hanna Anthony

Alors que j'ai été une adolescente solitaire, la pratique de l'écriture m'a sauvée.

À 12 ans, j'ai rédigé ma première nouvelle sur l'ordinateur familial. Par la suite, je publiais régulièrement mes textes sur un blog. J'ai ensuite tardé à me lancer dans le roman, persuadée que je n'étais pas légitime à construire une structure narrative et des personnages forts.

En 2019, l'école d'écriture Les mots a lancé un concours auquel j'ai participé avec un texte très moderne sur les amours contemporaines. Les liaisons factices a figuré parmi les lauréats du concours. Un an plus tard, il a été publié dans une petite maison d'édition et vendu à 800 exemplaires.

J'ai également vendu mon propre recueil de textes en auto-édition, en moins de deux mois, plus de 500 exemplaires ont été écoulés.

Particulièrement intéressée par le genre du roman contemporain, j'ai fait évoluer mon écriture dans le cadre d'ateliers, notamment avec Chloé Delaume et Lolita Pille. J'ai affiné mon style, que je considère aujourd'hui comme inspiré de Delphine de Vigan et de Karine Tuil.

Je possède aussi un compte Instagram de mots, @relation_textuelle, suivi par plus de 40 000 personnes.

On discute ? 💌
anthonyhanna760@gmail.com