Valentin ou mon prince pas si charmant du Canada

V

Protagoniste : Lolita

Date : 2018

Je vivais à Paris et c’est vrai que je galérais avec les mecs. J’avais toujours ce sentiment d’être incomprise. De rencontrer des phobiques de l’engagement, des accros aux coups d’un soir. Des mecs pas profonds, pas artistes pour un sou. Un comble, à Paris, ville d’art qui regorge pourtant d’expos et d’écrivains.

​Une de mes amies m’avait parlé de son meilleur ami. Elle avait l’intuition que ça pouvait coller entre nous. Mais comme il habitait à Vancouver, c’était compliqué d’organiser une rencontre.

​Un soir, je vois une nouvelle demande d’amis sur Facebook. C’est lui. Valentin.

Wahou. Beau gosse de fou. Un regard bleu, iodé. Perçant.

​Fan de peinture et de surréalisme comme moi. Et surtout peintre à ses heures perdues. Comme moi aussi.

​C’est ainsi que démarre mon histoire avec Valentin. Une histoire qui ressemblait à un film romantique élaboré par un producteur hollywoodien.


De mars à juin, nous nous échangeons des messages de plus en plus longs via Messenger.

​Un par semaine, tous les dimanches. Une amitié se tisse entre les lignes virtuelles.

​Il me raconte sa vie à Vancouver et moi la mienne à Paris.

​Il me confie ses déceptions, je lui dévoile ma mélancolie et mes états d’âmes.

​On parle peinture, arts, voyage vie à Paris et à l’autre bout du monde.

​Il m’explique que les canadiens sont fermés d’esprit, qu’il n’aime pas les gens là où il vit, que la France, ses fromages et ses vins, sa Tourraine natale lui manquent. Inconsciemment, il tisse la toile d’une rencontre éventuelle, prochainement.

​Les semaines passent et nos messages hebdomadaires sont comme des correspondances d’artistes sous l’ancien temps.

​Albert Camus et Maria Casarès.

​Un jour de juillet, je reçois un message plus court qu’à l’ordinaire.

​C’est étrange car c’est à moi de lui répondre et notre temporalité est bien rôdée.

​ »Je serais de passage à Paris pendant un jour et demi le week-end du 7 juillet. As-tu une soirée à me consacrer ? »

​Je lui indique que je suis disponible le samedi soir et que nous pourrons nous retrouver pour une balade et un dîner.


Jour J, je suis fin prête. Vêtue d’une combinaison noire avec des sandales irisées, je sors dans la capitale pour rejoindre Valentin place du Trocadero.

​C’est l’été et des nuées de touristes arpentent les environs, subjugués par la vue de la Tour Eiffel de l’autre côté de la Seine. La chaleur de la journée caniculaire s’amenuise au même rythme que le voyage du soleil vers l’horizon.

​Je monte sur des marches et sort mon portable pour me donner contenance. Valentin loge chez mon amie Marjo, il n’est pas loin d’ici.

​-Lolita ?

​Je pivote, il me fait face.

​Très grand, ses épaules saillent sous sa veste légère. Ses yeux brillent. Il est… à tomber par terre. Un acteur de cinéma avec une âme d’artiste dissimulé derrière sa chemise en lin.

​-Hey ! Cool de te voir en chair et en os !

-De même, je suis ravi de te rencontrer !

-Qu’est-ce que tu veux faire ? On se balade ?

-Oui je te suis !

-Si tu veux… on peut parcourir mon arrondissement préféré, le sixième. Et j’ai un truc à te montrer.

​Nous montons dans le métro pour ne pas perdre des minutes de notre précieuse soirée.

​Nous sillonnons le sixième et son atmosphère poétique, le souffle d’un vent léger, délicieux, l’ambiance qui règne à Paris en été, lorsque les touristes se mêlent aux locaux et les lumières des restaurants qui dansent dans la pénombre.

​Je vole jusqu’à la rue Férou, près de l’église Saint-sulpice pour lui montrer un poème de Rimbaud, le bateau ivre, tatoué sur le mur de la ruelle.

​Dans ses yeux, je lis l’admiration, l’attirance. Celle que je ressens au creux de mon ventre.

​À la Boussole petit restaurant rue des cannettes, nous nous attablons. Mon tataki de boeuf au soja est un régal agrémenté par un verre de rouge et de la présence de l’érudit BG qui me fait face.

​Nos langues se délient, nos conversations s’envolent.

​Nous parlons des amours de nos jours. Du manque de profondeur. Des lâches, du ghosting, des gens qui font délibérement du mal aux autres. De l’égoïsme, le mal de notre siècle.

​Valentin me plaît terriblement.

​Après le repas, nous décidons de nous balader sur les quais de Seine. Paris la nuit, dans la chaleur de juillet est romantique.

Une balade langoureuse, le bruissement des vaguelettes qui courent sur la Seine.

​Vous imaginez le truc ? Personne, juste nous deux qui piétinons les pavés de la ville Lumière.

​-Voilà le Pont Alexandre III. Mon préféré, le plus beau de Paris à mes yeux, décrété-je.

-Il est magnifique, tu as bon goût. Au fait, j’ai quelque chose pour toi.

-Hein ?

Je le vois fouiner dans son sac à dos et extirper un paquet qu’il me tend délicatement. Non mais ce mec est une perfection, je rêve !

​J’attrape le paquet, les yeux exorbités et le déchire pour apercevoir deux livres :

​-Lolita de Nabokov, parce qu’il s’agit d’un de ses livres préférés, que je m’appelle Lolita et que je ne l’ai jamais lu.

-Un superbe ouvrage que je convoitais, Le surréalisme et Paris.

​-Wahou ! Merci Valentin ! Tu aurais pas dû ! balbutié-je.

-Ça me fait très plaisir !

Je m’avance vers lui et il m’enlace, sur ce pont magique, lieu qui exhale le romantisme avec ses lampadaires désuets et sa vue imprenable sur la dame de fer.

​Alors nous marchons encore, encore et encore. Du sixième à l’extrémité sud du seizième. Il est deux heures du matin.

​Et au plus la nuit laisse traîner son silence, et au plus les confessions franchissement nos lèvres.

​Il m’explique qu’il est allé voir un psy pendant longtemps pour des problèmes de dépression.

​Que parfois il ne se sent pas appartenir à ce monde, à cette époque. Ça tombe bien, moi non plus.

Un instant, malgré sa grande carcasse de rugbyman, il m’évoque un petit garçon sans défense.

​Devant chez mon amie Marjo, il me commande un taxi. Nous nous perdons dans une étreinte longue, interrompue par les phares d’une berline, mon Uber, qui trouent l’obscurité.

​En me glissant sous mes draps avec les deux livres amoureusement posés sur ma table de chevet, un message de Valentin surgit sur mon portable serré dans ma paume.

​ »J’ai passé une superbe soirée avec toi, c’était magique, j’espère que tu es bien rentrée. Bonne nuit et plein de bisous ! Val. »


Valentin repart à Vancouver et nos messages passent de hebdomadaire à quotidien.

​Autrefois amicaux, ils se teintent d’affection avec des « Je t’embrasse ma belle » ; « Plein de bisous » ou encore « Je rêverais de pouvoir t’enlacer ». Mais ils s’agrémentent aussi de photos, pour ne pas que le visage de l’autre ne se floute au fond de nos esprits.

​Intérieurement je sais que je suis fichue. Ce genre d’histoires qui naît à distance ne m’ont jamais réussie.

​Expérimentées plusieurs fois, elles ont toutes fini en eau de boudin. Parce que mon coeur ne supporte pas la distance.

​Qu’une histoire ne se bâtit pas sur des messages. Que j’ai besoin de toucher l’autre, de le voir.

​Valentin me dit qu’il rentrera probablement en France avant la fin de l’année.

​Alors que nous prenons lentement conscience qu’on ne se reverra pas avant des mois, nos conversations se tarissent. Je découvre que Valentin a son petit caractère.

​Qu’il est parfois d’humeur ombrageuse lorsque nous n’avons pas le même point de vue. Lentement, les messages s’espacent.

​Les petits mots s’évanouissent.

Un soir, une légère embrouille éclate. Rien de grave mais je sens qu’il est de marbre.

​Le lendemain, je lui écris pour dédramatiser. Pas de réponse.

​Je vois la petite bulle qui indique qu’il a lu mon message.

​Deux jours plus tard rien.

​Je lui réécris en demandant si tout va bien, sans agression.

​Il lit mais ne réponds pas.

​Cette attente de réponse est une véritable torture.

​Il est en ligne. Pas de réponse.

​J’attends deux jours. Je lui écris encore, en lui disant que je suis désolée si je l’ai blessé.

​Il lit. Il est en ligne. Pas de réponse.

​La violence moderne des moyens de communication.

​Je comprends qu’il est en train de me ghoster, de se débarrasser de moi. Je n’y crois pas. Nous avons parlé du ghosting, nous avons fustigé la pratique : il ne ferait jamais ça. Et puis, c’est le meilleur ami de ma copine Marjo, il ne me traiterait pas ainsi.

​Je mets ma fierté sous un tapis pour lui écrire une nouvelle fois, je deviens folle de le voir en ligne et m’ignorer ainsi !

​ »Valentin, s’il-te-plaît, si tu ne veux plus me parler, dis-le moi et basta. Mais ne me laisse pas dans cette incertitude, c’est très désagréable, merci ».

​Il lit. Il est en ligne. Il ne répond pas.

​Un dernier. Un ultime.

​ »Valentin, je vais te bloquer puisque tu es en train de me ghoster… Dis-moi simplement les choses, je serais pas vexée ».

​Rien. La bulle avec sa face souriante. Le point vert qui indique qu’il est en ligne. L’ignorance. Le mépris.


Je l’ai bloquée et j’ai eu mal.

​Même lui. Lui qui me parlait de ses déceptions, de la méchanceté des gens, de l’égoïsme moderne. Même lui m’a ghostée, méprisée.

​Je n’ai plus jamais eu de nouvelles de Valentin et je n’ai jamais compris ce qui s’est passé.

​Enfin, j’ai compris que la relation était impossible mais pourquoi me ghoster ainsi après tous nos échanges ? Pourquoi ne pas répondre et me dire la vérité alors que je lui tendais une perche ?

​Pouquoi, pourquoi, pourquoi… ?

​Je n’ai jamais su. J’ai tourné la page. Mais parfois j’y pense encore et la rancoeur revient me poinçonner le coeur, juste un instant.

​Si quelqu’un a une explication, je suis preneuse.

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Hanna Anthony

Alors que j'ai été une adolescente solitaire, la pratique de l'écriture m'a sauvée.

À 12 ans, j'ai rédigé ma première nouvelle sur l'ordinateur familial. Par la suite, je publiais régulièrement mes textes sur un blog. J'ai ensuite tardé à me lancer dans le roman, persuadée que je n'étais pas légitime à construire une structure narrative et des personnages forts.

En 2019, l'école d'écriture Les mots a lancé un concours auquel j'ai participé avec un texte très moderne sur les amours contemporaines. Les liaisons factices a figuré parmi les lauréats du concours. Un an plus tard, il a été publié dans une petite maison d'édition et vendu à 800 exemplaires.

J'ai également vendu mon propre recueil de textes en auto-édition, en moins de deux mois, plus de 500 exemplaires ont été écoulés.

Particulièrement intéressée par le genre du roman contemporain, j'ai fait évoluer mon écriture dans le cadre d'ateliers, notamment avec Chloé Delaume et Lolita Pille. J'ai affiné mon style, que je considère aujourd'hui comme inspiré de Delphine de Vigan et de Karine Tuil.

Je possède aussi un compte Instagram de mots, @relation_textuelle, suivi par plus de 40 000 personnes.

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