Le polyamoureux

L

Protagoniste : Louise

Date : 2017

Etes-vous déjà allé à un rencard online après avoir échangé uniquement quelques mots avec quelqu’un ?

Moi oui.

​Dernièrement, le désespoir engendré par l’absence de rencards convaincants, ou pire, de prétendants m’ayant éconduite, manque d’hormones du plaisir dans mon cerveau en furie, m’a fait accepté un rendez-vous rapidement, dérogeant à toutes les règles.

Rapidement, c’est-à-dire, après trois messages échangés sur Tinder.

​Antoine : Salut ça va ?

Louise : Ouais et toi ?

Antoine : Ouais. Dispo pour un RDV mardi prochain ?

Louise : Oui, nickel !

Aller à un rendez-vous sans avoir beaucoup échangé avec une personne est un acte risqué voire suicidaire. En effet, le taux de déception probable avoisine les 99%.

Cependant, il faut parfois savoir se laisser aller.

J’appelle donc les rendez-vous à la Antoine : les Tinder Surprise (jeu de mot facile, je concède, avec Kinder Surprise).

C’est-à-dire qu’on sait à peu près à quoi ressemble l’emballage, du bon chocolat au lait (cf : photos de profil alléchantes).

​Mais que l’intérieur reste totalement imprévu : sera-t-il intéressant ou complètement crétin ? La réponse en chair et en os !

​Bref, Antoine ne devrait pas être mon problème pour ce soir puisque je suis attendue pour un repas avec des amis casse-couilles, ou plutôt devrais-je dire horripilants.

Je les adore, mais ils sont horripilants tant ils dégoulinent de joie.


20 minutes plus tard.

Chaque invité ici présent parle de son petit bonheur, et le suivant ajoute son commentaire oiseux « Oui c’est super, nous on préfère le 15e arrondissement, c’est plus calme même si c’est cher ». Tout le monde donne son avis sauf moi, je fixe ma fourchette en silence.

​Me sentant observé, je ne sais pas trop quoi dire.

Toujours ce même schéma classique que j’exècre.

J’écoute, le cœur serré.

Marre d’être la seule célib’.

​-Vous achetez combien au mètre carré du coup ?

​-12 000. Ouais, on a trouvé un truc vraiment magnifique, cosy comme tout !

​-On signe le contrat de vente dans trois semaines si tout va bien, puis on s’envole aux Seychelles !

​-Louis, et toi tes amours ? interroge Julie.

Ah, la question relou de ouf !

​Vous savez, dans la vie, il y a deux catégories de nanas. Celles qui passent de mec en mec, comme Julie, sans aucune difficulté. Dès qu’elles cassent, elles en re-chopent un autre, d’un claquement de doigts.

Comment ? Je ne sais pas.

Et il y a nous autres, mes copines et moi, les braves, les gentilles fifilles.

​Autrement dit les celles qui collectionnent les plans foireux, les longs mois de solitude cafardeux, qui sautent de rencard en rencard (ou pire, se font sauter de rencard en rencard) sans parvenir à construire quoi que ce soit.

Un grand silence se fait, je me dis qu’ils attendent une belle réponse, un conte de fées moderne, quelque chose de prometteur.

Alors je me lance :

​-J’ai rencontré un prince Saoudien au café de la Paix l’autre jour.

J’y suis allée en mode michetonneuse, bottines à talons aiguilles, manteau de fourrure, maquillée comme une pute, parfaitement apprêtée de la tête aux pieds et apparemment, je lui ai tapé dans l’œil.

​La semaine prochaine, il me ramène en Arabie Saoudite, dans son Palais et je deviendrais Altesse à mon tour. Je mangerai des raisins juteux, toute la journée, avachie sur un trône immense, décoré de mille pierres orientales.

Aucune réaction de leur part, alors je continue mes élucubrations, imperturbable :

-Mes servantes me frotteront le dos, me masseront les pieds dans un hammam tout en or massif, et je me prélasserai au bord d’une piscine toute la journée, avec un bronzage impeccable, divine.

La grisaille parisienne, mon studio « cage à poule » à 900 balles et les applis ne seront pour moi qu’un vieux rêve décoloré, insignifiant.

-Allez Louise, raconte vraiment !

​-Et le Cyril que tu devais voir ? ajoute Laura.

​-Cyril, je l’ai bien aimé, il était génial. Mais… il n’a pas voulu me revoir. Il m’a taxée de prétentieuse. Je n’en reviens d’ailleurs pas encore. D’habitude, ils veulent toujours me revoir !

-Nan ? Pourquoi ?

-Je ne sais pas, je suppose que j’ai dû arborer une confiance en moi démesurée pour masquer ma timidité et qu’il a fui…

Je soupire… Je ne sais pas où est passé mon « charme indéniable », celui qui faisait mon succès il y a quelques mois. En ce moment, je ne me prends que des bâches, ma confiance en moi s’érode lentement, à l’image d’une roche exposée au vent.

​-Un autre. Romain. On s’est vus une fois. On continuait à discuter par message, puis il a disparu.

​-Merde… C’est les mecs des sites de rencontre. Ils sont pas fiables.

​-C’est le problème du multi-dating.

Mais bon… c’est le jeu, j’imagine. Sinon, j’ai quand même rencontré un autre mec sur Tinder. Antoine. Ça fait un mois qu’on se voit.

​-Dis-nous en un peu plus ! Tu nous laisses dans le suspense là.

​-Disons que je sais pas trop où on en est, si on est ensemble ou pas, déclaré-je.

Ça vous est déjà arrivé d’être dans une relation mais de ne pas trop savoir ce que vous êtes « l’un pour l »autre » ? Moi oui.

​Je décide alors de tout lâcher et de me confier à mes amis.

​Et j’ajoute :

On se voit l’un chez l’autre, il s’est passé ce qui s’est passé, on va au ciné ensemble ou au restaurant, dans la rue on se donne la main, mais j’ai pas l’impression qu’on partage grand-chose. On s’envoie très peu de messages en dehors de « Salut ça va ? Rendez-vous à 20h00 ce soir ? ».

​C’est pas vraiment le définition d’être dans une relation pour moi. Et ça me gêne.

​Mais je ne sais plus vraiment quoi penser. Alors, j’essaie de m’adapter et je vois si ça peut marcher.

Fabien réflechit quelques secondes et me dit :

​-Il te plaît vraiment ce mec ?

​-Moyen. Il est intéressant et on a de chouettes discussions. Après physiquement je le trouve bof bof.

Mais j’essaye de creuser un peu. De regarder plus loin. De pas être comme tout le monde, en mode société de consommation, dès qu’un truc est pas parfait, je jette pour passer au suivant.

​-Franchement, laisse tomber s’il ne t’intéresse pas plus que ça et qu’en plus, vous partagez rien, next !

​-Au pire, tu lui proposes une expo prochainement, vous n’allez ni chez l’un, ni chez l’autre après, et tu vois comment il réagit, propose Maxence, plein de bon sens.

​Je hoche la tête en signe d’approbation et un long bâillement s’empare soudain de moi que je m’efforce de masquer.

​Quelques dizaines de minutes plus tard, tout le monde se lève, il est temps de rentrer.

​Jetant un œil à mon iPhone, je constate qu’Antoine ne m’a pas écrit.

​Bien sûr.

​Personne ne m’a écrit en fait.

​Mon écran est désespérément vide, enfin, juste ce paysage en arrière-plan qui ne me fait même plus rêver.

​Même pas un message d’un vieil ex qui voudrait renouer ou d’admirateur secret qui aurait soudainement surgi, tel un chevalier blanc, pour remonter mon moral à zéro.


woman holding iPhone during daytime

Arrivée chez moi, je balaye ma page Facebook, et je tombe sur une conférence qui parle de la série Black Mirrors.

Je ne tergiverse pas pendant cent ans, prenant une photo de mon écran pour l’envoyer aussitôt à Antoine :

​« Hey ! Ça te dit qu’on se fasse cette expo ? Ça me rappelle nos conversations de l’autre fois. Tu serais dispo ? »

​Pour ne pas devenir folle à regarder mon téléphone à chaque seconde, comme une enragée, je décide de mettre de côté celui-ci le temps d’aller me démaquiller et me brosser les dents.

Lorsque je reviens jeter un oeil furtif, Antoine n’a toujours pas répondu. J’espère que ce con n’est pas en train de me ghoster.

​Mais non Louise, raisonne-toi, tu as envoyé le message il y a vingt-cinq minutes, on est samedi soir, il doit être avec ses copains, tout simplement.

Cinq minutes plus tard, mon téléphone vibre.

Antoine !

​J’ouvre le message, nerveuse et excitée en même temps, en me mordillant l’intérieur de la bouche, pressée de découvrir ses mots. Je lis sa réponse. « Cool ! ».

Lapidaire.

​Je reste perplexe, qu’est-ce que ça veut dire « Cool » ? Oui ou non ?


Trois jours plus tard, au bureau.

​Mon iPhone vibre furieusement. J’ouvre le message en faisant glisser mon doigt sur l’écran tactile. Antoine. Quelle surprise !

​« Hello Louise, ça va ? Dispo mercredi soir ? Tu viens chez moi ? Mon coloc sera pas là. »

Ouais, pour baiser quoi, je pense amèrement. Je soupire longuement. Et notre expo ?

​Comment pourrais-je désamorcer la situation ?

Je lui envoie un sms, le cœur battant car je sais déjà comment toute cette histoire va se finir.

​Soudain, je sens la mauvaise humeur fondre sur moi comme un nuage noir avant l’orage.

​« Hey, Antoine, il y a un truc qui m’échappe. Je comprends pas trop ta vision de la relation.

​On est quoi tous les deux exactement ? »

La réponse ne se fait pas attendre et me parvient, vingt minutes plus tard.

​« Bah, on se fréquente quoi. Pourquoi tu dis ça ? Je t’appelle ? Ce sera plus simple pour en discuter. »

​-Allô ? Ouais alors du coup, je comprends pas ta façon de faire. Dimanche, je t’envoie un message pour une expo et tu réponds juste « Cool ». On partage rien.

Est-ce qu’on est en couple pour toi ? Est-ce que c’est ça ta vision du couple ?

-Bah on est pas en couple pour moi, on se fréquente c’est tout. Notre relation est pas exclusive, on a jamais rien verbalisé.

What the fuck ?

-Ça fait un peu plus d’un mois qu’on se voit. Tu veux dire que tu couches avec d’autres filles ?

​Je sens que je commence à m’emporter salement mais j’essaye tout de même de maîtriser le son de ma voix.

Respiration rythmée. Self-control activé.

-Non, j’ai vu personne depuis qu’on s’est rencontré, mais je t’avoue que si j’ai une occasion qui se présente, je vois pas pourquoi je me priverai.

On n’a jamais rien verbalisé. Fallait le verbaliser si tu voulais quelque chose d’exclusif.

​Moi, j’ai toujours fonctionné comme ça, je fréquente une ou plusieurs filles sans rien officialiser et au bout de plusieurs mois on voit si ça marche ou pas, ajoute-t-il.

​-Okay, laissons tomber tu sais quoi.

​On se dit au revoir, il essaie de se justifier, mais je coupe court, car je n’ai pas de temps à perdre avec ce genre de personnes.

Je suis écoeurée, depuis quand a-t-on besoin de verbaliser une relation ?

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Hanna Anthony

Alors que j'ai été une adolescente solitaire, la pratique de l'écriture m'a sauvée.

À 12 ans, j'ai rédigé ma première nouvelle sur l'ordinateur familial. Par la suite, je publiais régulièrement mes textes sur un blog. J'ai ensuite tardé à me lancer dans le roman, persuadée que je n'étais pas légitime à construire une structure narrative et des personnages forts.

En 2019, l'école d'écriture Les mots a lancé un concours auquel j'ai participé avec un texte très moderne sur les amours contemporaines. Les liaisons factices a figuré parmi les lauréats du concours. Un an plus tard, il a été publié dans une petite maison d'édition et vendu à 800 exemplaires.

J'ai également vendu mon propre recueil de textes en auto-édition, en moins de deux mois, plus de 500 exemplaires ont été écoulés.

Particulièrement intéressée par le genre du roman contemporain, j'ai fait évoluer mon écriture dans le cadre d'ateliers, notamment avec Chloé Delaume et Lolita Pille. J'ai affiné mon style, que je considère aujourd'hui comme inspiré de Delphine de Vigan et de Karine Tuil.

Je possède aussi un compte Instagram de mots, @relation_textuelle, suivi par plus de 40 000 personnes.

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